820 x 1310 x 450 cm
Panneau de signalisation catégorie 1, peinture de traçage
Parc de la Maison Blanche, Marseille, 2025
Le projet «Attention au feu» s’inspire de la métaphore de la route pour interroger les dérives politiques et sociales contemporaines, en particulier la montée des idéologies autoritaires et néo-fascistes. La bifurcation, ce changement brutal de trajectoire, devient ici un symbole d’alerte face aux crises globales et aux mutations dangereuses de notre époque. Dans un contexte où l’autoritarisme et le libéralisme débridé se rejoignent, il est crucial de questionner les chemins que nous empruntons collectivement, avant que la déviation ne devienne irréversible.
À travers l’image de la route, des panneaux de signalisation et des pictogrammes, le projet évoque une dégradation progressive de notre trajectoire commune. L’ autoroute est ici convoquée pour illustrer les racines historiques du fascisme et son évolution vers des formes modernes, alimentées par la technocratie et les dérives de l’ultra-libéralisme. Le parallèle avec les fascistes italiens du début du XXe siècle (inventeurs de la première auto-route européenne) et les figures contemporaines du pouvoir, comme les magnats de la tech, permet de souligner la continuité idéologique entre les régimes autoritaires du passé et ceux qui se profilent aujourd’hui, notamment en Europe.
À l’origine des premières autoroutes du monde, on trouve Piero Puricelli. Compte di Lomnago, c’est entant qu’ingénieur qu’il conçoit à partir de 1920 ce nouveau type de route, et c’est en 1922 qu’il prépare le projet de l’autoroute des lacs, entre milan et les deux grands lacs, le Côme et le Majeur. Difficile de ne pas faire le lien entre Piero Puricelli et le mouvement d’avantgarde du futurisme italien. Lien d’autant plus fort que Piero Puricelli finira par être élu en tant que Sénateur pour le parti fasciste en 1929.
Sans chercher à calquer une époque sur une autre, il me semble que nous sommes dans un continuum de résurgence du fascisme. Les futuristes du début 1900 se retrouvent aujourd’hui incarnés par Elon Musk et les autres figures politico-affairistes majeures des nouvelles technologies tel que Peter Thiels, Mark Zuckerberg ou bien David Sacks. Ceux qui fantasmaient la vitesse, l’électricité, les automobiles et construisaient des autoroutes hier sont ceux qui fantasment et développent certaines des nouvelles technologies d’aujourd’hui et norment certaines formes d’intelligence artificielle.
Il y a aussi ici la volonté de rappeler les origines fascistes du Front national maintenant Rassemblement national. La flamme tricolore est en premier lieucelle du fascisme italien post 1945 (ici tricolore en vert blanc rouge), plus grand allié et financeur du front national de sa naissance aux années 90.
Effectivement, c’est dès 1946 que le MSI, partie néofasciste italien est créé. Son logo est sans appel, il s’agit de la tombe de Mussolini surplombé de la flamme tricolore verte – blanche – rouge. Au moment où le Front national prend une forme de leadership au sein de l’extrême droite hexagonale, ces derniers n’ont pas encore de charte graphique ni d’éléments de communication officiels et bien définis. C’est alors qu’intervient à nouveau le MSI en imprimant pour le compte du FN affiches et autres éléments de communication. Il conserve l’entiereté de leur logo (tombe de musolini + flamme tricolore), remplace MSI par FN et colorise la flamme en bleu – blanc – rouge. Dès lors cette flamme tricolore, don des néofascistes italiens, deviendra aussi l’emblème du néofascisme français. Aujourd’hui encore, le logo du RN contient cette même flamme, re-stylisée en 2011, pour correspondre plus à l’image de Marine Le Pen, “moins anguleux, plus féminin, plus rond, plus rassembleur” dit elle lors de son discours du 1 juin 2018 à Lyon, dans une logique perverse et électoraliste de dédiabolisation du parti.
Ne l’oublions pas, le mouvement d’extrême droite français à été fondé par des sympathisants et ex collaborateur du nazisme, fascistes eux même, xénophobes, antisémites, masculinistes, autoritaires et homophobes. Malgré tous les efforts de dissimulation c’est et ce sera toujours l’adn du rassemblement national, d’autant plus visible si ce dernier parvient au pouvoir.
En utilisant des pictogrammes routiers comme éléments visuels, l’oeuvre que je produis cherche à renforcer l’idée d’urgence, en signalant les dangers d’une «bifurcation» mal négociée. Les panneaux d’avertissement, souvent associés à la sécurité, deviennent ici des signaux de danger politique et social : «Risque de dérapage», «Prudence, route déformée», “Risque d’incendie”. Ces images interrogent la stabilité de nos institutions et la possibilité/nécessité de sortir de cette dérive avant qu’elle n’atteigne son point de non-retour.
Le projet n’est pas une simple dénonciation, mais un appel à la prise de conscience collective. Il invite à une réflexion sur notre capacité à éviter une crise systémique, à choisir délibérément une autre voie. La bifurcation, loin d’être une fatalité, peut devenir une opportunité si elle est comprise et anticipée à temps.
En somme, «Attention au feu» est un manifeste visuel, une mise en garde mais aussi un appel à l’action. À travers cette oeuvre, je cherche à provoquer une réflexion profonde sur les choix politiques et sociaux qui détermineront notre avenir, en espérant qu’il n’est pas encore trop tard pour réorienter notre trajectoire.
Remerciements à Romain Rispal pour son accompagnement technique.
Credit photo ©ClaudiaGoletto.